L'adaptation des territoires au recul du trait de côte

Le changement climatique accélère le recul du trait de côte, mettant en péril des milliers de biens immobiliers et transformant radicalement les territoires littoraux. Face à l'élévation du niveau de la mer et aux événements climatiques extrêmes, il est impératif de repenser l'aménagement durable des zones côtières.

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Vagues de submersion sur le sillon à Saint-Malo lors de la marée du siècle
Arnaud Bouissou / Terra

Un littoral de plus en plus menacé

Le changement climatique se traduit par une élévation du niveau de la mer et des événements climatiques extrêmes qui accélèrent le recul du trait de côte. Ce dernier se traduit par le déplacement, vers l'intérieur des terres, de la limite entre le domaine marin et le domaine continental.

500 000 logements menacés à horizon 2100

En 2023, le CEREMA a ainsi réalisé un premier inventaire des biens existants exposés à moins de cinq ans, en 2050 et en 2100 : si les biens menacés à horizon 2050 représentent encore une part relativement modeste (environ une dizaine de milliers), ce ne sont pas moins d’un demi-million de logements qui sont menacés à horizon 2100 pour une valeur vénale (valeur à laquelle un bien immobilier pourrait être vendu sur le marché) d’environ 86 Md€, dont 100 000 résidences secondaires estimées à environ 22 Md€. 

Parallèlement, le risque de submersion marine en zones basses (au sein desquelles les constructions se sont intensifiées depuis cinquante ans) et derrière les ouvrages sera plus prégnant en fréquence et en étendue que l’érosion. La submersion chronique rendra ces secteurs inhabitables, voire les intégrera dans le domaine public maritime (DPM).

Le domaine public maritime (DPM) est constitué, pour l’essentiel, des terrains historiquement recouverts par la mer mais dont elle s’est retirée, ainsi que ceux encore immergés compris entre le rivage de la mer et la limite des eaux territoriales. Ce domaine est principalement affecté à l’usage direct du public ou à l’accueil de services publics en lien avec l’utilisation ou l’exploitation des ressources maritimes.

Résidence "La Rafale" et le grand hôtel de la plage menacés par l'érosion dunaire à Biscarosse
Christophe Cazeau / Terra Résidence "La Rafale" et le grand hôtel de la plage menacés par l'érosion dunaire à Biscarosse

Le phénomène d’érosion, progressif, prévisible, lent et inexorable, contre lequel les moyens de défense habituels comme les systèmes d’endiguement ne suffisent plus, invite donc à changer notre regard sur les territoires littoraux exposés.  Il s’agit en effet de basculer d’un aménagement pensé « pour longtemps » à une gestion dynamique du « bientôt disparu ». Ce renversement conceptuel appelle une transformation profonde du référentiel de l’action publique littorale. L’aménagement durable des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte doit être un aménagement qui anticipe, mais aussi organise la « fin de vie » de ces territoires, qui pense leur recomposition à long terme tout en permettant leur usage résiduel à court terme, y compris avec de nouvelles constructions dont la péremption est planifiée.

De nouveaux outils d’aménagement opérationnel pour les collectivités

Avec la loi Climat et résilience du 22 août 2021, de nouveaux outils d'aménagement opérationnel ont été mis en place : ils posent les conditions de l’articulation des différentes échelles d’action et la coordination des acteurs.

Les collectivités ont ainsi la possibilité, dans leurs documents de planification, d’interdire de nouvelles constructions dans les zones menacées par le recul du trait de côte. Leur capacité d'intervention est ainsi renforcée. 

Les collectivités sont aussi encouragées à anticiper plus largement le recul du trait de côte : décret-liste des communes qui sont volontaires pour entrer dans le dispositif, cartographies locales d’exposition au recul du trait de côte annexé aux PLU, information acquéreur locataire. L’État finance jusqu’à 80% du coût de réalisation des cartographies locales d’exposition au recul du trait de côte via le Fonds vert et encadre leur bonne réalisation grâce à ses opérateurs le CEREMA et le BRGM (guide de réalisation, mise à disposition d’un modèle de cahier des charges pour le recours à un bureau d’étude).

L’aménagement des zones concernées et du rétro-littoral est facilité notamment avec les projets partenariaux d’aménagement. L’État appuie les opérations d’aménagement des collectivités par le biais de ses établissements publics fonciers (EPF), dont les missions ont été élargies, ou en aidant, sur certains secteurs à enjeux, à la contractualisation de projets partenariaux d’aménagement (PPA) Ces contrats soutiennent les collectivités dans la mise en œuvre des études pré-opérationnelles à la recomposition de leurs territoires (plans guides, études de stratégie foncière, concertation publique…) ainsi que les premiers travaux de repli d’équipements et de renaturation du littoral ;

Enfin, le bail réel d'adaptation à l'érosion côtière est un nouvel outil qui permet d’habiter et de vivre autrement sur ces territoires pendant leur durée de vie résiduelle.

Défini comme un contrat de bail immobilier, le bail réel d'adaptation à l'érosion côtière permet à l’Etat, une commune ou un groupement de communes, un établissement public y ayant vocation ou le concessionnaire d’une opération d’aménagement, de proposer à la location un bien immobilier dans une zone exposée au recul du trait de côte. L’objectif principal du bail réel d’adaptation à l’érosion côtière est de concilier la préservation des écosystèmes côtiers fragiles avec les impératifs de développement urbain et touristique.

Zoom sur l'outil de Projet Partenarial d'Aménagement

Des moyens sont d’ores et déjà mobilisés pour accompagner au plan financier les communes volontaires et particulièrement vulnérables au recul du trait de côte. Des enveloppes de crédits dédiées ont été ouvertes pour soutenir les premiers travaux liés à la réalisation des cartes locales d’exposition au recul du trait de côte ainsi que pour la mise en œuvre de projets partenariaux d’aménagement (PPA), consacré par la loi Climat résilience comme un outil clef des opérations de recomposition des territoires en facilitant l’intervention des EPF.

Transcription de la vidéo : Imaginer le littoral de demain : Coutances Mer et Bocage

Face à l'érosion du littoral, habitants et élus de Coutances mer et bocages se mobilisent pour imaginer le territoire de demain.

Jacky Bidot, président de l'EPCI Coutances mer et bocages : "Ici nous nous trouvons à Gouville-sur-Mer, ville littorale. La communauté de communes est composée de 48 communes, 51 000 habitants. On a 11 communes littorales et qui représentent 25 km de gestion du trait de côte. Nous avons des traits de côte qui sont relativement, ce que j'appelle, très très vulnérables dans le cadre des coups de vent que l'on a au niveau des différentes tempêtes. La problématique que l'on a, c'est qu'on a eu, quand même, depuis un certain nombre d'années, des maires avec leurs communes littorales qui ont essayé de faire en sorte de protéger leur littoral. Et donc à partir de ce moment-là, il y avait ce que j'appelle une certaine individualité où chacun essayait de faire pour le bien. Et là on s'est dit pourquoi pas se regrouper. Et donc à partir de ce moment-là, on a créé ce comité de pilotage et ça a été un peu la genèse aujourd'hui, peut-être, de ce projet "Entre-deux-Havres".

Louis Teyssier, maire de Blainville sur Mer : "C'est tout l'intérêt du projet partenarial d'aménagement, c'est qu'on comprenne ce qui se passe. Donc en fait, c'est d'amener sur le territoire une compétence intellectuelle, scientifique, technique qui puisse descendre avec des bottes, rencontrer les gens qui ont l'habitude d'être sur le territoire pour pouvoir avoir vraiment une approche physique des éléments, puisse comprendre comment ça marche, puisse dire oui, ce secteur-là, on le hiérarchise, il sera, à notre avis, plus important de le protéger le temps de la recomposition et qui doit être validé majoritairement par une population et aussi par des élus."

Olivier Chabert, directeur de l'urbanisme à Coutances Mer et Bocage et responsable du SCoT Centre Manche Ouest : "Un des outils, c'est le projet partenarial d'aménagement. On échange en permanence avec les services de l'État pour voir comment on fait avancer ce projet-là. Et un des axes forts de ce projet, c'est de faire un premier pas, de se dire déjà, de faire une première réflexion sur le territoire par rapport aux perceptions qu'ont les habitants à la fois du territoire, à la fois de l'évolution des risques, à la fois du changement climatique et derrière, construire et élaborer une stratégie d'accompagnement au changement par rapport à ces perceptions, à ces niveaux de conscience et à pouvoir se projeter dans un avenir qui, pour certains, peut être stimulant, qui, pour d'autres, peut être source d'angoisse ou de peur, en fait, de crainte."

Gilles Gal, directeur général de l'établissement public foncier de Normandie : "Dans le cadre de ce PPA, on doit accompagner la communauté d'agglomération dans, effectivement, la construction d'un dispositif qui, pour nous, est un peu nouveau puisque le retrait du trait de côte va, effectivement, faire disparaître certains fonciers et il va falloir trouver des fonciers pour accueillir les activités. Précisément, dans le cadre de ce territoire, trois opérations ont été identifiées. Il s'agit de deux campings, dont celui qui est derrière moi et du groupement interprofessionnel conchylicole qui vont être, effectivement, attaqués par le retrait du trait de côte. Alors, nous allons, dans un premier temps, étudier les besoins que représentent, effectivement, en foncier, ces activités et nous allons ensuite identifier les sites qui seraient susceptibles de les accueillir et, bien sûr, de les accueillir dans la durée parce que le territoire est, bien sûr, soumis à cet aléa de retrait du trait de côte.

On avait auparavant, effectivement, seulement la première ligne de bungalow qui était soumise au risque et on se rend compte désormais qu'à 30 ans, c'est les cinq premières lignes, donc une bonne partie du camping, qui sera soumise et affectée par le risque."

Luc Catherine, co-gérant du camping Belle étoile : "Cet enrochement nous a bien protégés en début d'année avec une forte marée et une tempête aussi importante. Le temps d'étudier la relocalisation du camping.

Donc en 2010, avant d'acheter, on était allé voir la préfecture, enfin les services de l'État, la mairie, pour savoir d'où elle était, effectivement, par rapport à l'érosion. Donc à l'époque, on nous avait dit, non, il n'y a pas de soucis pour l'instant. Donc on a acheté en 2014, une grosse tempête avec une grosse marée. Là, on a vu que, effectivement, l'érosion attaquait et en 2019, rebelote. Là, on s'est posé des questions. Tout le monde a compris qu'il fallait protéger cette route. Aujourd'hui, notre inquiétude, c'est de savoir où on ira. C'est la question qu'on se pose. Donc nous, on demande, effectivement, d'être à fond de mer, évidemment, mais rester bord de mer avec un accès direct à la mer. On est dans l'inquiétude, mais on se sent accompagné. Et c'est très important. Effectivement, tout seul, on ne peut pas y arriver."

Etienne D'Anglejan, chef de projet recomposition littoral Coutances Mer et Bocage : "Cette balade à vélo, finalement, elle a permis de questionner cette épaisseur littorale avec des sujets qu'on peut aborder en transversalité, à la fois la production sur le trait de côte, le tourisme, mais c'est aussi des problématiques d'habitat au quotidien où vont se poser des questions de mobilité, vont se poser des questions d'attractivité des centres-bourgs, des questions de logement. Et toutes ces thématiques-là, finalement, on peut les aborder au travers d'une balade à vélo puisque ça nous permet de rentrer dans les liens qui font le territoire. Mais globalement, aujourd'hui, on a réussi à construire un collectif qui travaille ensemble sur un projet qui est commun. Et donc, on regarde tous ensemble dans la même direction et ça permet aussi de se rassurer sur les opportunités qu'on peut avoir face au changement climatique pour construire des futurs qui soient désirables. de l'avenir."

Les PPA relatifs au trait de côte

La communauté de commune Médoc-Atlantique (33) réalise des études nécessaires à la relocalisation des activités impactées par le recul du trait de côte à court, moyen et long terme de Lacanau, et la réalisation des premiers travaux de modernisation du centre de Lacanau-Océan.

La communauté de Commune de Coutances mer et bocage (50) élabore une vision transversale de l’aménagement du territoire des communes de Gouville-sur-Mer, Blainville et Agon-Coutainville, avec comme enjeu clef, le déplacement de deux campings et d’un GIE ostréicole.

La communauté d’agglomération du Pays-Basque (64) concrétise un projet de recomposition spatiale de la frange littorale nord de Saint-Jean-de-Luz visant notamment à reculer les parkings, relocalisation la station d’épuration et le déplacement de campings et de restaurants de plages. 

La communauté d’agglomération Sète Agglomération Métropole (Sète, Balaruc et Frontignan) qualifie les vulnérabilités des communes littorales et de bord d’étangs de l’agglomération, établit un plan guide de régénération urbaine du triangle Sète-Balaruc-Frontignan, décline une stratégie foncière de recyclage du tissu urbain, conçoit le scénario de recomposition spatiale d’un quartier (Frontignan plage) et met en œuvre les modalités d’association des acteurs socio-économiques et des habitants.

La communauté de communes du Médoc Atlantique (Soulac-sur-Mer) réalise des études pré-opérationnelles de relocalisation de biens immobiliers affectés par l’érosion côtière, d’infrastructures routières ou de quartiers de ville ainsi qu’une étude spécifique portant l’établissement des cartes d’aléa « érosion marine » à horizon 100 ans.

La communauté d’agglomération du Pays Basque (Bidart et Guéthary) réalise des études (recomposition spatiale sur les secteurs Corniche de la falaise à Bidart, port et centre à Cenitz, sentier des pêcheurs, réaménagement du littoral…) et des travaux (aménagement et sécurisation de sites sensibles: secteur de la Corniche, linéaire côtier de Guéthary, aménagement des espaces publics et mobilité).

La communauté de communes des Villes Sœurs (Criel-sur-mer) en 2024 pour repenser l’aménagement du territoire, en particulier les zones exposées à l’érosion des falaises. 

Visualisez les PPA trait de côte sur la carte de France

L'adaptation de l’hôtellerie de plein air (camping) à l’érosion du littoral

Le camping est le premier mode d’hébergement touristique en France qui possède 29,3 % des campings d'Europe, soit 7 460 campings dont plus de 2 300 sont implantés sur les façades littorales. Les campings représentent la majorité des nuitées marchandes de bord de mer. Mais l’érosion du trait de côte et les aléas naturels aggravés par les effets du changement climatique menacent ce secteur économique. 

Dans le cadre du plan Destination France, un appel à manifestation d’intérêt (AMI) a été lancé en direction des territoires dont les campings sont menacés par l’érosion. L’objectif poursuivi par cet AMI est double :

  • identifier les besoins de relocalisation de l’offre d’hôtellerie de plein air menacée par l’érosion du littoral dans le but de maintenir cette activité et préserver l’attractivité des territoires concernés ;
  • identifier les besoins d’amélioration de cette offre du point de vue économique et environnemental, afin de maintenir le chiffre d’affaires de cette activité dans la perspective de projets de recomposition spatiale.

Lancés à l’été 2023 et toujours en cours, 16 territoires (EPCI) et 36 campings font l’objet de ces diagnostics.

  • Normandie : 3 campings
  • Bretagne : 17 campings (dont 2 en cours)
  • Hauts-de-France : 1 camping (en cours)
  • Nouvelle-Aquitaine : 7 campings (dont 1 en cours)
  • Occitanie : 8 campings (dont 6 en cours)

L'appel à manifestation d'intérêt diagnostics territoriaux pour l’adaptation de l’hôtellerie de plein air (campings) à l’érosion du littoral (.pdf en ligne)

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